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Page:Milton - Le Paradis perdu, trad. de Chateaubriand, Renault et Cie, 1861.djvu/144

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Il est injuste, dis-tu, tout net injuste de lier par des lois celui qui est libre, et de laisser l’égal régner sur des égaux, un sur tous avec un pouvoir auquel nul autre ne succédera.

« Donneras-tu des lois à Dieu ? Prétends-tu discuter des points de liberté avec celui qui t’a fait ce que tu es, qui a formé les puissances du ciel comme il lui a plu, et qui a circonscrit leur être ? Cependant, enseignés par l’expérience, nous savons combien il est bon, combien il est attentif à notre bien et à notre dignité, combien il est loin de sa pensée de nous amoindrir, incliné qu’il est plutôt à exalter notre heureux état, en nous unissant plus étroitement sous un chef. Mais, quand on t’accorderait qu’il est injuste que l’égal règne monarque sur des égaux, toi-même, quoique grand et glorieux, penses-tu que toi ou toutes les natures angéliques réunies en une seule, égalent son Fils engendré ? Par lui comme par sa parole, le Père tout-puissant a fait toutes choses, même toi et tous les esprits du ciel, créés par lui dans leurs ordres brillants ; il les a couronnés de gloire, et à leur gloire les a nommés Trônes, Dominations, Principautés, Vertus, Puissances ; essentielles Puissances ! non par son règne obscurcies, mais rendues plus illustres, puisque lui, notre chef, ainsi réduit, devient un de nous. Ses lois sont nos lois ; tous les honneurs qu’on lui rend nous reviennent.

« Cesse donc cette rage impie et ne tente pas ceux-ci ; hâte-toi d’apaiser le Père irrité et le Fils irrité, tandis que le pardon, imploré à temps, peut être obtenu. »

« Ainsi parla l’ange fervent, mais son zèle non secondé fut jugé hors de saison ou singulier et téméraire. L’apostat s’en réjouit et lui répliqua avec plus de hauteur :

« Nous avons donc été formés, dis-tu, et œuvre de seconde main, transférés par tâche du Père à son Fils ? Assertion étrange et nouvelle ! Nous voudrions bien savoir où tu as appris cette doctrine : qui a vu cette création lorsqu’elle eut lieu ? Te souviens-tu d’avoir été fait, et quand le Créateur te donna l’être ? Nous ne connaissons point de temps où nous