Aller au contenu

Page:Milton - Le Paradis perdu, trad. de Chateaubriand, Renault et Cie, 1861.djvu/189

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

prompt retour diurne le prouvent. Quoi ! uniquement pour administrer la lumière l’espace d’un jour et d’une nuit autour de cette terre opaque, et de cette tache d’un point, eux, dans toute leur vaste inspection d’ailleurs inutiles ! En raisonnant j’admire souvent comment la nature sobre et sage a pu commettre de pareilles disproportions, a pu, d’une main prodigue, créer les corps les plus beaux, multiplier les plus grands pour ce seul usage (à ce qu’il paraît), et imposer à leurs orbes de telles révolutions sans repos, jour par jour répétées. Et cependant la terre sédentaire (qui pourrait se mouvoir mieux dans un cercle beaucoup moindre), servie par plus noble qu’elle, atteint ses fins sans le plus petit mouvement et reçoit la chaleur et la lumière, comme le tribut d’une course incalculable, apporté avec une rapidité incorporelle, rapidité telle que les nombres manquent pour l’exprimer. »

Ainsi parla notre premier père, et il sembla par sa contenance entrer dans des pensées studieuses et abstraites ; ce qu’Ève apercevant du lieu où elle était assise retirée en vue, elle se leva avec une modestie majestueuse et une grâce qui engageaient celui qui la voyait à souhaiter qu’elle restât. Elle alla parmi ses fruits et ses fleurs pour examiner comment ils prospéraient, bouton et fleur, ses élèves : ils poussèrent à sa venue, et, touchés par sa belle main, grandirent plus joyeusement. Cependant elle ne se retira point comme non charmée de tels discours, ou parce que son oreille n’était pas capable d’entendre ce qui était élevé ; mais elle se réservait ce plaisir, Adam racontant, elle seule auditrice ; elle préférait à l’ange son mari le narrateur, et elle aimait mieux l’interroger ; elle savait qu’il entremêlerait d’agréables digressions, et résoudrait les hautes difficultés par des caresses conjugales : des lèvres de son époux les paroles ne lui plaisaient pas seules ! Oh ! quand se rencontre à présent un pareil couple, mutuellement uni en dignité et en amour ? Ève s’éloigna avec la démarche d’une déesse ; elle n’était pas sans suite, car près d’elle, comme une reine, un cortège de grâces attrayantes se tient toujours ; et d’autour d’elle jaillis-