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Page:Milton - Le Paradis perdu, trad. de Chateaubriand, Renault et Cie, 1861.djvu/196

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repasser à mon premier état d’insensibilité et me dissoudre.

« Quand soudain à ma tête se tint un songe dont l’apparition intérieure inclina doucement mon imagination à croire que j’avais encore l’être et que je vivais. Quelqu’un vint, ce me semble, de forme divine, et me dit :

« — Ta demeure te manque. Adam : lève-toi, premier homme, toi destiné à devenir le premier père d’innombrables hommes ! Appelé par toi, je viens, ton guide au jardin de béatitude, ta demeure préparée. » —

« Ainsi disant, il me prit par la main et me leva : et sur les campagnes et les eaux doucement glissant comme dans l’air sans marcher, il me transporta enfin sur une montagne boisée, dont le sommet était une plaine : circuit largement clos, planté d’arbres les meilleurs, de promenades et de bosquets ; de sorte que ce que j’avais vu sur la terre auparavant semblait à peine agréable. Chaque arbre chargé du plus beau fruit, qui pendait en tentant l’œil, excitait en moi un désir soudain de cueillir et de manger. Sur quoi je m’éveillai, et trouvai devant mes yeux, en réalité, ce que le songe m’avait vivement offert en image. Ici aurait recommencé ma course errante, si celui qui était mon guide à cette montagne n’eût apparu parmi les arbres ; présence divine ! Rempli de joie, mais avec une crainte respectueuse, je tombai soumis en adoration à ses pieds. Il me releva, et :

« — Je suis celui que tu cherches, me dit-il avec douceur ; auteur de tout ce que tu vois au-dessus, ou autour de toi, ou au-dessous. Je te donne ce paradis, regarde-le comme à toi pour le cultiver et le bien tenir, et en manger le fruit. De chaque arbre qui croît dans le jardin, mange librement et de bon cœur ; ne crains point ici de disette ; mais de l’arbre dont l’opération apporte la connaissance du bien et du mal, arbre que j’ai planté comme le gage de ton obéissance et de ta foi, dans le jardin auprès de l’arbre de vie (souviens-toi de ce dont je t’avertis), évite de goûter et évite la conséquence amère. Car sache que le jour où tu en mangeras, ma seule défense étant