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Page:Milton - Le Paradis perdu, trad. de Chateaubriand, Renault et Cie, 1861.djvu/198

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« Ainsi je parlais présomptueux, et la vision, comme avec un sourire, plus brillante, répliqua ainsi :

« — Qu’appelles-tu solitude ? La terre et l’air ne sont-ils pas remplis de diverses créatures vivantes, et toutes celles-ci ne sont-elles pas à ton commandement pour venir jouer devant toi ? Ne connais-tu pas leur langage et leurs mœurs ? Elles savent aussi, et ne raisonnent pas d’une manière méprisable. Trouve un passe-temps avec elles, et domine sur elles ; ton royaume est vaste. » —

« Ainsi parla l’universel Seigneur et sembla dicter des ordres. Moi, ayant imploré par une humble prière la permission de parler, je répliquai :

« — Que mes discours ne t’offensent pas, céleste puissance ; mon Créateur, sois propice tandis que je parle. Ne m’as-tu pas fait ici ton représentant, et n’as-tu pas placé bien au-dessous de moi ces inférieures créatures ? Entre inégaux quelle société, quelle harmonie, quel vrai délice peuvent s’assortir ? Ce qui doit être mutuel doit être donné et reçu en juste proportion ; mais en disparité, si l’un est élevé, l’autre toujours abaissé, ils ne peuvent bien se convenir l’un l’autre, mais ils se deviennent bientôt également ennuyeux. Je parle d’une société telle que je la cherche, capable de participer à tout délice rationnel, dans lequel la brute ne saurait être la compagne de l’homme. Les brutes se réjouissent chacune avec leur espèce, le lion avec la lionne ; si convenablement tu les as unies deux à deux ! L’oiseau peut encore moins converser avec le quadrupède, le poisson avec l’oiseau, le singe avec le bœuf ; l’homme peut donc encore moins s’associer à la bête, et il peut le moins de tous. » —

« À quoi le Tout-Puissant, non offensé, répondit :

« — Tu te proposes, je le vois, un bonheur fin et délicat dans le choix de tes associés, Adam, et dans le sein du plaisir, tu ne goûteras aucun plaisir, étant seul. Que penses-tu donc de moi et de mon état ! te semblé-je ou non posséder suffisamment de bonheur, moi qui suis seul de toute éternité ? car je