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Page:Milton - Le Paradis perdu, trad. de Chateaubriand, Renault et Cie, 1861.djvu/229

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Adam ; l’excuse parut d’abord sur son visage comme le prologue de son discours, et une trop prompte apologie ; elle adresse à son époux des paroles caressantes qu’elle avait à volonté :

« N’as-tu pas été étonné, Adam, de mon retard ? Je t’ai regretté ! et j’ai trouvé long le temps, privée de ta présence ; agonie d’amour, jusqu’à présent non sentie et qui ne le sera pas deux fois, car jamais je n’aurai l’idée d’éprouver (ce que j’ai cherché téméraire et sans expérience) la peine de l’absence, loin de ta vue. Mais la cause en est étrange, et merveilleuse à entendre.

« Cet arbre n’est pas, comme on nous le dit, un arbre de danger, quand on y goûte ; il n’ouvre pas la voie à un mal inconnu ; mais il est d’un effet divin pour ouvrir les yeux, et il fait dieux ceux qui y goûtent ; il a été trouvé tel en y goûtant. Le sage serpent (non retenu comme nous, ou n’obéissant pas) a mangé du fruit : il n’y a pas trouvé la mort dont nous sommes menacés ; mais dès ce moment il est doué de la voix humaine et du sens humain, raisonnant d’une manière admirable. Et il a agi sur moi avec tant de persuasion, que j’ai goûté et que j’ai trouvé aussi les effets répondant à l’attente : mes yeux, troubles auparavant, sont plus ouverts ; mon esprit plus étendu, mon cœur plus ample. Je m’élève à la divinité, que j’ai cherchée principalement pour toi ; sans toi je puis la mépriser. Car la félicité dont tu as ta part est pour moi la félicité, ennuyeuse bientôt et odieuse avec toi non partagée. Goûte donc aussi à ce fruit ; qu’un sort égal nous unisse dans une égale joie, comme dans un égal amour, de peur que si tu t’abstiens un différent degré de condition ne nous sépare, et que je ne renonce trop tard pour toi à la divinité, quand le sort ne le permettra plus. »

Ève ainsi raconta son histoire d’un air animé ; mais sur sa joue le désordre monte et rougit. Adam, de son côté, dès qu’il est instruit de la fatale désobéissance d’Ève, interdit, confondu, devient blanc, tandis qu’une froide horreur court dans ses veines et disjoint tous ses os. De sa main défaillante la guirlande tressée