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Page:Milton - Le Paradis perdu, trad. de Chateaubriand, Renault et Cie, 1861.djvu/61

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monie suspendait l’enfer, et tenait dans le ravissement la foule pressée.

En discours plus doux encore (car l’éloquence charme l’âme, la musique, les sens), d’autres, assis à l’écart sur une montagne solitaire, s’entretiennent de pensées plus élevées, raisonnent hautement sur la Providence, la prescience, la volonté et le destin : destin fixé, volonté libre, prescience absolue ; ils ne trouvent point d’issue, perdus qu’ils sont dans ces tortueux labyrinthes. Ils argumentent beaucoup du mal et du bien, de la félicité et de la misère finale, de la passion et de l’apathie, de la gloire et de la honte : vaine sagesse ! fausse philosophie ! laquelle cependant peut, par un agréable prestige, charmer un moment leur douleur ou leur angoisse, exciter leur fallacieuse espérance, ou armer leur cœur endurci d’une patience opiniâtre comme d’un triple acier.

D’autres, en escadrons et en grosses troupes, cherchent par de hardies aventures, à découvrir au loin si dans ce monde sinistre, quelque climat peut-être ne pourrait leur offrir une habitation plus supportable : ils dirigent par quatre chemins leur marche ailée le long des rivages des quatre rivières infernales qui dégorgent dans le lac brûlant leurs ondes lugubres : le Styx abhorré, fleuve de la haine mortelle ; le triste Achéron, profond et noir fleuve de la douleur ; le Cocyte, ainsi nommé de grandes lamentations entendues sur son onde contristée ; l’ardent Phlégethon, dont les vagues en torrent de feu s’enflamment avec rage.

Loin de ces fleuves, un lent et silencieux courant, le Léthé, fleuve d’oubli, déroule son labyrinthe humide. Qui boit de son eau oublie sur-le-champ son premier état et son existence, oublie à la fois la joie et la douleur, le plaisir et la peine.

Au-delà du Léthé, un continent gelé s’étend sombre et sauvage, battu de tempêtes perpétuelles, d’ouragans, de grêle affreuse qui ne fond point sur la terre ferme, mais s’entasse en monceaux et ressemble aux ruines d’un ancien édifice. Partout ailleurs, neige épaisse et glace ; abîme profond semblable au ma-