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Page:Milton - Le Paradis perdu, trad. de Chateaubriand, Renault et Cie, 1861.djvu/68

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posant seul pour tous ; je vais poser mes pas solitaires sur l’abîme sans fond, et dans mon enquête errante, chercher à travers l’immense vide, s’il ne serait pas un lieu prédit, lequel, à en juger par le concours de plusieurs signes, doit être maintenant créé vaste et rond. C’est un séjour de délices, placé sur la lisière du ciel, habité par des êtres de droite stature, destinés peut-être à remplir nos places vacantes ; mais ils sont tenus plus éloignés, de peur que le ciel, surchargé d’une puissante multitude, ne vînt à exciter de nouveaux troubles. Que ce soit cela, ou quelque chose de plus secret, je cours m’en instruire ; le secret une fois connu, je reviendrai aussitôt, et je vous transporterai, toi et la Mort, dans un séjour où vous demeurerez à l’aise, où en haut et en bas vous volerez silencieusement, sans être vus, dans un doux air embaumé de parfums. Là, vous serez nourris et repus sans mesure ; tout sera votre proie. »

Il se tut, car les deux formes parurent hautement satisfaites, et la Mort grimaça horrible un sourire épouvantable, en apprenant que sa faim serait rassasiée ; elle bénit ses dents réservées à cette bonne heure d’abondance. Sa mauvaise mère ne se réjouit pas moins et tint ce discours à son père :

« Je garde la clef de ce puits infernal par mon droit et par l’ordre du Roi tout-puissant du ciel : il m’a défendu d’ouvrir ces portes adamantines : contre toute violence, la Mort se tient prête à interposer son dard, sans crainte d’être vaincue d’aucun pouvoir vivant. Mais que dois-je aux ordres d’en haut, au commandement de celui qui me hait, et qui m’a poussée ici en bas dans ces ombres du profond Tartare, pour y demeurer assise dans un emploi odieux, ici confinée moi habitante du ciel et née du ciel, ici plongée dans une perpétuelle agonie, environnée des terreurs et des clameurs de ma propre géniture, qui se nourrit de mes entrailles ? Tu es mon père, tu es mon auteur, tu m’as donné l’être : à qui dois-je obéir si ce n’est à toi ? qui dois-je suivre ? Tu me transporteras bientôt dans ce nouveau monde de lumière et de bonheur, parmi les