Aller au contenu

Page:Mirbeau - Dans le ciel, paru dans L’Écho de Paris, 1892-1893.djvu/11

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

III

Je passai une nuit atroce, et ne pus dormir un seul instant. De gros nuages orageux, frangés de lune pâle, roulaient dans le ciel ; il faisait une chaleur étouffante qui me congestionnait les poumons, et rendait ma respiration pénible et haletante. J’avais la tête lourde, lourd aussi l’estomac, et mes jambes tremblaient, molles de vertige. Était-ce la fièvre ? Était-ce la faim ? Je n’avais pas mangé depuis le matin. Mes oreilles étaient pleines de sonorités étranges ; il y avait en elles comme des tintements de cloches lointaines, des bourdonnements de guêpes. Et des fanfares m’obsédaient de leurs airs inconnus. Je ne voulus pas me déshabiller, et m’allongeai, tout vêtu, sur le lit, un lit sordide dont la couverture et les draps exhalaient une odeur de moisissure, une odeur de cadavre. Oh ! cette chambre ! Ses murs nus et sales, avec des coulées de salpêtre jaunasse, des rampements hideux d’insectes noirs et de larves, d’innombrables toiles d’araignées pendaient aux angles, se balançaient aux poutres. N’allais-je pas voir planer,