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Page:Mirbeau - Dans le ciel, paru dans L’Écho de Paris, 1892-1893.djvu/23

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Il vint, un matin, à la maison, et dit à mon père :

— Je vous demande Georges… j’ai besoin de Georges… Oui, j’ai pensé que Georges, comme tambour, pourrait conduire la procession… Il n’est pas grand… Ce n’est pas un tambour-major… mais il bat très bien… il bat d’une façon extraordinaire, pour son âge… Et c’est un honneur que j’ai voulu lui réserver…

Joignant les mains, comme un saint en prière, il reprit :

— Quelle fête, mon cher ami ! Six arcs de triomphe, pensez donc ?… J’ai déjà tout le plan… ensemble et détails… dans ma tête… La procession, conduite par Georges ira recevoir Monseigneur et les saintes reliques, sur la route, au Moulin-Neuf. La musique de la pension jouera des marches que j’ai faites… des chœurs de jeunes filles, portant des palmes d’or, chanteront les cantiques que j’ai faits… Un groupe de druides enchaînés !… Et les bannières ! Et ça ! et ça, et ça… Ce sera beau comme une cavalcade… Voulez-vous que je vous chante mon cantique principal ?

Sans attendre la réponse, M. Martinot entonna d’une voix fausse :

Au temps jadis, d’horribles Dieux
Trônaient partout sur nos montagnes
Et les chrétiens, dans nos campagnes,
Tremblaient sous leur joug odieux.

Ô père tendre
Qui pourra rendre
Les cieux plus doux ?
Saint Latuin, ce sera vous,
Ce sera vous.
Saint Latuin, honneur à vous !

Jésus, mon Dieu, vous donna la victoire.
Jésus, mon Dieu, vous reçut dans sa gloire.

Saint Latuin, honneur à vous, bis
Saint Latuin, priez pour nous.bis

Mon père était ravi. Il remercia M. Martinot avec effusion.