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Page:Mirbeau - L’Abbé Jules, éd. 22, Ollendorff.djvu/156

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au fond de son être moral, et personne, autour de lui, n’en ressentit le contre-coup. C’est même au plus fort de ses affres, c’est au plus douloureux de ses tentations, que, par une ironie pitoyable qui donne à la vertu la nostalgie du vice, au vice la nostalgie de la vertu, il éprouva une intense et presque enivrante joie à chanter en ses sermons l’hymne des voluptés impossédées, l’ineffable douceur de l’amour mystique, de l’amour introublé d’un rêve de la terre pour un rêve du ciel.

Tous les ans, on célébrait la fête de l’évêque par des exercices pieux, des réjouissances littéraires, et un supplément de chocolat, au repas du matin, dans les petit et grand séminaires. Après la messe solennellement chantée en musique, les élèves venaient complimenter Monseigneur, ceux-ci en vers latins, ceux-là en vers français, quelques-uns — les plus forts — en vers grecs, et se livraient ensuite à une joute académique, où ils élucidaient un point obscur de l’histoire religieuse, ou bien fixaient un dogme attaqué par les philosophes. Et la musique jouait des marches, dans l’intervalle des discours. À cette occasion, le prélat donnait un dîner auquel étaient conviés les principales autorités ecclésiastiques, le meilleur élève de chaque classe, et quelques amis laïques. Comme d’habitude, Jules fut chargé d’organiser la fête, laquelle, d’ailleurs, ne variait jamais.

Ce jour-là, il était nerveux, plus agité que de coutume. Il avait eu, le matin, à propos de la décoration du maître-autel, une dispute avec le grand vicaire qui