Page:Mirbeau - Lettres de ma chaumière.djvu/207

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geait le cœur, lui rongeait le foie !… Il essaya de rassembler ce qui lui restait de forces, afin de pousser un cri de colère, mais le cri avorta dans une plainte si faible qu’à peine on l’entendit.

— Donne donc eune cuillerée de potion à ton pè, dit la mère Dugué à Fanchette, attendiment que j’vas mett’ l’poulet à la broche.

Fanchette tenta vainement d’introduire la cuiller entre les dents serrées du père Dugué, et le liquide se répandit, coula de chaque côté de la bouche, jusque dans le cou et sur la poitrine. Elle l’essuya doucement avec le coin du drap, et ensuite elle regarda son père. L’œil du vieillard qui se fixait sur elle était, en ce moment, si hideux et si effrayant qu’elle s’enfuit aussitôt, secouée d’un frisson.

La nuit arrivait. Par la porte toujours ouverte, on n’apercevait plus, au-dessus des masses sombres des arbres, qu’un pan de ciel limpide, où déjà s’allumaient les étoi-