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Page:Mirbeau - Lettres de ma chaumière.djvu/374

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vre, avec mes petits appointements de deux mille francs. Certainement, c’est peu. Mais les hommes n’échappent pas à leur destinée, et la mienne consiste à gagner deux mille francs. Je ne suis point né pour acquérir de la fortune, et je m’en consolais jadis, en me disant que chacun, sur la terre, est payé selon ses mérites. Ma femme ne voulait rien entendre à cette philosophie résignée, se prétendait la plus misérable des femmes, m’invectivait, réclamant toujours quelque argent, que je ne pouvais lui donner. Et elle me traitait d’avare, de grippe-sous, de sans-cœur.

L’argent ! ce mot retentissait à mes oreilles, toutes les minutes. Je n’entendais jamais que le tintement de ce mot qui, à la fin, avait pris comme une sonorité d’écus remués. Je n’étais pas plutôt avec ma femme que ce mot déchaînait aussitôt son bruit métallique. Elle ne disait pas une phrase que mes oreilles ne fussent assourdies par ce mot qui tintinnabulait sans cesse et secouait sur