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Page:Mirbeau - Théâtre II.djvu/111

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c’est vous qui allez devenir, maintenant, la maman de ce petit monde-là ?… (Il montre les enfants endormis.) Vous êtes bien jeune pour un si lourd devoir… et le père commence à être bien vieux… C’est effrayant, ce qu’il a vieilli, depuis quelques mois… (Madeleine ne répond pas et se met à pleurer.) Pourquoi pleurez-vous ?…

Madeleine

C’est la fatigue, peut-être… c’est maman… c’est vous aussi, Jean… Depuis que vous êtes entré, j’ai envie de pleurer… (Éclatant tout d’un coup.) Et puis, je ne peux pas… je ne pourrai jamais… je n’ai pas la force… Jean… Jean… jamais je ne pourrai souffrir ce qu’a souffert maman… Et je ne veux pas… J’aimerais mieux mourir…

Jean, il lui prend les mains, les caresse.

Ma pauvre Madeleine !… (Madeleine se calme un peu.) Pleurez… vos nerfs ont besoin de ces larmes…

Madeleine

Excusez-moi… pardonnez-moi… C’est fini…


Elle se lève, ranime le feu du fourneau où chauffe la bouillotte, essuie ses yeux, et se remet à coudre. Jean va vers la porte ouverte. La nuit est venue tout à fait. L’usine crache des flammes. On entend les coups des marteaux-pilons. Dans la ruelle, des ouvriers passent, s’arrêtent, colloquent à voix basse et s’en vont. Le père, Louis Thieux, sort de la chambre de la malade.