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Page:Moke - Le Gueux de Mer ou La Belgique sous le Duc d'Albe, sd.djvu/184

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solable ; et maintenant encore je ne puis apercevoir son meurtrier sans que tout mon cœur ne se soulève contre lui.

» Mon père (faut-il que cet homme soit mon père !) éprouva des remords aussi cruels que sa passion avait été violente ; il voulut m’élever auprès de lui, mais sa vue me tuait. Il fallut m’éloigner, et je fus confié à des mains mercenaires.

» Les femmes auxquelles on me remit partageaient leur vie entre la médisance et la dévotion ; elles me traînèrent d’église en église, de couvent en couvent, et me forcèrent de prendre part à des cérémonies que je ne pouvais comprendre. Ma répugnance et ma tristesse durent augmenter l’aversion que leur inspirait ma couleur. Je devins un objet de dégoût et de mépris même pour les plus vils domestiques, et il n’en était aucun qui ne me regardât comme un être d’une espèce inférieure à lui.

» Quelquefois on me parlait de la religion : on me peignait Dieu et ses anges, blancs comme les Européens ; Satan et les réprouvés, noirs comme ma mère et comme moi. C’était là tout ce qui frappait alors mon intelligence. Je voyais que les Espagnols s’étaient emparés du ciel et qu’ils ne m’avaient laissé que l’enfer. Alors je levais les yeux vers ces astres que ma mère avait adorés. Vous serez mes dieux, leur disais-je ; car vous brillez aussi pour moi, quoique ma couleur soit brune et que le sang éthiopien coule dans mes veines.

» Chaque jour m’isolait davantage du reste des