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Page:Moke - Le Gueux de Mer ou La Belgique sous le Duc d'Albe, sd.djvu/190

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tions, plutôt que de participer aux mesures iniques qu’il fallait voter sous peine d’être suspects. Ils s’assirent dans cette salle où naguère prenaient place tant de grands hommes, maintenant proscrits ou morts sur l’échafaud. Un gentilhomme espagnol, le seigneur de Rhoda, appelé par la volonté royale au conseil suprême d’un pays dont il ne connaissait ni la langue, ni les mœurs, ni les lois[1], était assis sur le siège que le comte d’Egmont avait eu coutume d’occuper ; mais il y avait une place qui restait vide ; jamais, depuis l’arrivée du duc d’Albe, aucun conseiller n’avait eu assez d’orgueil ou d’indifférence pour s’y asseoir : c’était la place de Guillaume de Nassau.

Un silence profond régnait dans l’assemblée : on n’entendait que les pas des soldats qui gardaient l’entrée. C’était un détachement d’Albanais que le duc avait amené du royaume de Naples, et que leur langage barbare, leur extérieur farouche et leurs habitudes turques avaient rendus aussi odieux que redoutables aux habitants des Pays-Pays.

Après une assez longue attente, une porte particulière donna entrée au gouverneur.

Don Ferdinand Alvarès de Tolède, duc d’Albe, général de la sainte inquisition, gouverneur, lieutenant et capitaine général des Dix-Sept Provinces, était à cette époque âgé de soixante-quatre ans ; mais sa taille était encore droite, sa démarche ferme et

  1. Viglius se plaint, dans sa 146me lettre, qu’on ne nommait plus aux places importantes que des Italiens ou des Espagnols. Il en allègue la raison : c’est que les Belges étaient tous regardés à Madrid comme des bêtes (bestias) et des luthériens.