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Page:Monge - Coeur magnanime, 1908.djvu/157

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LA RANÇON

d’une large blessure qui traversait la main de l’enfant.

« Pauvre, pauvre petite, » murmurait Sœur Thérèse, douloureusement émue devant une si précoce misère.

— « Pourquoi courir ainsi ? avec une bouteille dans les mains, c’était imprudent ; tu vois, par toi-même, le triste résultat. »

— Ben dame, ma bonne sœur, c’est pas q’ça m’amuse ; c’est qu’il faut que j’me dépêche, car le père est toujours pressé d’avoir sa « verte » qui le rend si dur pour moi. J’ai beau jouer des jambes et fendre l’air, y trouve toujours que j’ai flâné en route. Pensez si doit tempêter à c’t’heure. Mais j’me sens si bien près de vous, que j’me moque du « galop » qui m’attend. »

— Et ta mère, questionna la religieuse, de plus en plus intéressée par la naïve confiance de la pauvrette ?

À ce doux nom, qui évoquait un heureux passé sans doute, le visage de la petite blessée refléta soudain une triste gravité.

— Maman est morte, il y a longtemps, j’étais toute petite — j’crois bien que j’avais cinq ans — j’m’en souviens bien pourtant. Elle était bonne, oh ! oui bien bonne, comme vous devez l’être, vous, ma sœur. En ce temps-là le père ne buvait pas ; il ne tapait pas non plus, au contraire il me caressait et me faisait sauter sur ses genoux.

On habitait loin, bien loin d’ici. Il y avait chez nous des champs, des gros arbres, des fleurs plein les chemins, des jolis oiseaux qui sautillaient dans les buissons avec des petits cris joyeux. C’était l’espace libre, je pouvais y courir à mon gré sans risquer de rouler sous un omnibus — comme ça a failli m’arriver hier. — On mangeait à sa faim… Quand Maman est morte,