Aller au contenu

Page:Monge - Coeur magnanime, 1908.djvu/68

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
70
CŒUR MAGNANIME

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Anne-Marie fut obligée de s’y prendre à plusieurs reprises pour achever jusqu’au bout la pénible lecture qui détruisait ses dernières illusions. Une sourde indignation agitait son cœur. L’assaut fut terrible. L’amour veut être payé de retour, celui d’Anne-Marie ne pouvait se soustraire à la commune loi. La lutte entre sa tendresse méconnue, sa fierté blessée et la bonté naturelle de son cœur, qui l’inclinait au sacrifice de son propre bonheur pour celui de Rodrigue, dura longtemps. La nature tout d’abord parla plus haut que la pitié. « Qu’il l’épouse — murmura-t-elle avec un accent d’amertume — qu’il l’épouse puisqu’il l’aime ; mais que je lui pardonne, moi ? non jamais ! Ah ! l’ingrat… est-ce là la récompense de tout ce que nous avions fait pour lui ? On aurait dû le laisser à sa propre misère… que serait-il à cette heure ? un paria… Dire que nous lui avons tout donné : affection, soins, bien-être… L’ingrat, oui, l’ingrat ! » et elle fondit en larmes.

Le combat durait toujours. Soudain les paroles du jeune prêtre : « Rodrigue est plus malheureux que coupable, si vous pouviez sonder son cœur vous en auriez compassion » surgirent à son esprit.

Une tendre pitié dominait peu à peu la révolte intérieure : la plus sublime abnégation allait bientôt triompher. À ce moment la cloche argentine d’un couvent voisin se mit à tinter l’angélique salutation de l’ange : selon sa pieuse coutume la jeune fille se mit à genoux, la prière opéra son effet salutaire en cette âme si pure :