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Page:Monselet - Les Oubliés et les Dédaignés, 1876.djvu/22

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OUBLIÉS ET DEDAIGNÉS.

sans une répugnance bien marquée et qu’il exprimait de la sorte à un ami, quelques jours avant la consommation du sacrifice :

« J’étais né dans l’état médiocre où un homme sage doit se renfermer, s’il veut être heureux ; une fortune bornée me liait à cet état obscur qui, seul, cache et défend la vertu. Une famille sans reproche, le nom d’un père estimé, quelque lueur de talent m’y assuraient un rang honnête. Il ne tenait qu’à moi d’y vivre ; je n’avais à y craindre ni les regrets de l’ambition trompée, ni les chaînes brillantes de l’ambition satisfaite. J’ai fait la folie de le dédaigner et de le fuir. J’ai osé aller chercher la fortune à la suite des grands. J’ai cru trouver la gloire et la considération dans la carrière littéraire ; je me suis promis de la douceur dans le commerce de ceux qui s’appliquent à cultiver leur esprit.

« Ces idées étaient flatteuses, et il a fallu du temps pour m’en désabuser. J’ai donné les dix plus belles années de ma vie à la poursuite de ces chimères, et j’ai vu qu’après bien des travaux, tout ce que je pouvais en attendre, c’étaient des sujets de chagrin et de repentir pour le reste de mes jours. Je me suis donc éloigné du théâtre des lettres, où j’ai eu l’imprudence de faire quelques pas, et où le rôle d’acteur produit toujours bien plus d’humiliations que d’applaudissements. Hélas ! depuis mon enfance, je n’avais point eu d’autre affaire ni de passion plus vive que la littérature ; et aujourd’hui que la raison m’éclaire sur ses dangers, dans ce moment où elle s’apprête à briser des nœuds qui n’ont encore que trop de force, mon cœur s’effraye du coup qu’elle va lui porter.