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Page:Monselet - Les Oubliés et les Dédaignés, 1876.djvu/25

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LINGUET.

entre autres les Révolutions de l’Empire romain, où il dit, avec une feinte résolution : « L’ouvrage que je laisse imprimer aujourd’hui n’est pas un retour vers une maîtresse avec qui j’ai rompu ; c’est plutôt le gage de la rupture, et la preuve que je ne veux rien conserver qui me la rappelle. » Mais ses rigueurs ne tinrent pas contre le demi-succès qui accueillit cette production, et aux Révolutions de l’Empire romain succéda bientôt l’Histoire impartiale des jésuites, que le bourreau brûla solennellement, — triomphe très-recherché par les écrivains d’alors, en ce qu’il entraînait d’habitude, pour un ouvrage condamné, le sort glorieux du phénix ressuscitant de ses cendres[1].

Le bonheur attire le bonheur. Dès que les liens qui l’attachaient à la médiocrité furent rompus, l’avocat champenois eut son cabinet encombré de clients. Plusieurs affaires brillantes, telles que celle du duc d’Aiguillon, celle de la duchesse d’Olonne, celle du prince de Ligne, et particulièrement celle du comte de Morangiès, qui eut un retentissement incroyable, portèrent à un très-haut degré son talent et sa réputation d’avocat. Il put alors s’étonner de cette seconde vocation qu’il avait ignorée si longtemps, et à laquelle il ne s’était livré qu’à son corps défendant. Aux audiences, on se portait en foule pour l’entendre, et il fallait des gardes pour contenir la multitude, ce qui ne s’était jamais vu. Les murs en suaient au cœur de l’hiver, dit un chroniqueur. Chez lui, il était assiégé par des curieux qui venaient ache-

  1. En effet, le nombre des éditions de l’Histoire impartiale des jésuites a été grand et s’est continué jusqu’à nos jours.