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Page:Monselet - Les Oubliés et les Dédaignés, 1876.djvu/259

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LE CHEVALIER DE LA MORLIÈRE.

net des estampes. Je ne bougeai pas ; mais, à deux ou trois reprises, je bâillai avec une grande apparence de candeur. Mon voisin de droite, qui ne se méfiait de rien, en fit autant, et bientôt il fut imité par mon voisin de gauche. Je continuai avec expansion. Les bâillements gagnèrent le parterre tout entier ; vers le milieu de la pièce ils avaient escaladé la galerie et ils circulaient dans les loges. Je suivais avec un plaisir malin les progrès de la contagion, dont j’étais le foyer. Vainement les comédiens redoublaient d’efforts pour secouer cet ennui, dont la manifestation leur arrivait par une multitude de mâchoires ouvertes ; il y eut un moment où l’épidémie, franchissant la rampe, vint leur contracter la gorge et resserrer au passage les hémistiches de l’infortuné Saurin. Dès lors, la chute de la pièce fut décidée ; je me hâtai d’y porter les derniers coups en bâillant plus démesurément que jamais. Cette fois, mon intention n’échappa pas aux deux exempts.

Celui de droite me dit :

— Monsieur le chevalier, nous sommes désolés d’avoir à vous rappeler à la prudence.

— Pourquoi cela ? demandai-je.

— Parce que vous bâillez avec une affectation visible.

— Eh bien, si je m’ennuie ?…

Les deux exempts se consultèrent du regard ; ma réponse les avait embarrassés.

— Au fait… murmura celui de gauche.

Mais l’exempt de droite, qui était le plus féroce, crut trancher la question par ces mots :

— Vous vous ennuyez trop.

Je ne me déconcertai pas, et, avec le plus grand