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Page:Monselet - Les Oubliés et les Dédaignés, 1876.djvu/261

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LE CHEVALIER DE LA MORLIÈRE.

chez les gentilshommes de la chambre ; elle les a prévenus, elle les a attendris. « Je ne peux pas jouer à la vue de ce monstre ! » a-t-elle dit en parlant de vous. Enfin…

— Enfin ?

— Elle a menacé de se retirer du théâtre.

— Quelle parodie ! m’écriai-je ; il n’y a pas de mois, pas de semaine, pas de jour qu’elle ne rénouvelle cette menace ; et vos gentilshommes de la chambre auraient beau jeu à la prendre au mot !

— Peut-être avez-vous raison, me dit froidement M. de Sartine, mais cela ne me regarde pas, j’obéis à des ordres supérieurs.

Je voulus insister, il me tourna le dos.

J’écrivis mémoires sur mémoires, j’invoquai la justice, j’exposai l’histoire de mes querelles avec les comédiens français : l’ordre ne fut pas révoqué. Je remuai terre et ciel pour intéresser à ma cause quelques personnages influents, et je m’aperçus une fois de plus que ma force n’était qu’en moi seul. Qui eût voulu protéger le chevalier de La Morlière ? Qui eût osé le défendre hautement ? Il n’y avait que le chevalier de La Morlière qui pût plaider pour le chevalier de La Morlière. Un nouveau et fulminant mémoire, en forme de consultation, que je lançai dans le public, intimida l’autorité ; j’y demandais par quelle voie me pourvoir pour pouvoir jouir du droit, qui appartient à tout citoyen libre, d’aller, en payant, à la Comédie française. On craignit que cette affaire ne fît trop de tapage ; et, en dépit de mademoiselle Clairon, le lieutenant de police, qui vit que j’étais homme à mener loin les choses, leva l’interdiction arbitraire qui pesait sur moi.