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Page:Monselet - Les Oubliés et les Dédaignés, 1876.djvu/306

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OUBLIÉS ET DÉDAIGNÉS.

dire deux fois ; notre estomac était serré à étouffer, et nous ne commençâmes à respirer que quand nous eûmes quitté la rue où demeurait Tamar. »

Dès ce moment, nous entrons dans la personnalité visible, sérieuse. Après avoir fui l’ami du peuple,’Ann’quin Bredouille et sa suite se transportent au quartier opposé, où leurs yeux sont frappés par une nouvelle auberge, — dans la description de laquelle il est impossible de ne pas reconnaître l’officine des Actes des Apôtres. Des mets de bon genre y sont présentés on ne peut plus gaiement par plusieurs servants, tous aussi aimables drilles les uns que les autres. Il est vrai que, tout en riant, ils montrent des dents qui ne laissent pas que d’être aiguës et qui mordillent sans cesse ; mais ils y mettent tant de grâce… « Tant pis ! marmotte madame Jer’nifle, notre voisin a eu comme cela une charmante souris qui mordillait si gentiment qu’un de ses plaisirs était de lui abandonner son petit doigt. Qu’arriva-t-il ? Cette mordillerie souvent répétée finit par envenimer la main et par faire plaie. »

L’observation de madame Jer’nifle n’empêche pas ’Ann’quin Bredouille de manger, d’autant plus qu’il trouve à chaque ragoût ce degré de piquant qui éveille l’appétit et provoque la soif. C’est que les cuisiniers ont le soin d’y mettre un sel excellent, qu’ils puisent à pleines mains dans un coffre attique. Quant à la boisson, ce n’est pas de ces liqueurs trop fortes dont l’excès produit une ivresse furieuse : c’est du vin de Champagne, qui engage seulement à des combats d’épigrammes et de quolibets. « C’est encore plus qu’il n’en faut, dit la sévère madame Jer’nifle ; mes amis, allons-nous-en ; toutes ces cuisines contre