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Page:Monselet - Les Oubliés et les Dédaignés, 1876.djvu/334

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OUBLIÉS ET DÉDAIGNÉS.

gens de lettres, les comédiens et plusieurs représentants du peuple réclamèrent contre cet acte vexatoire ; ce ne fut que le 13 germinal suivant qu’on permit aux acteurs de reprendre le cours de leurs représentations.

Ce fut vers ce temps-là que Dorvigny fit succéder la série des Jocrisses à la série des Janots.

Il donna successivement à divers théâtres : Jocrisse changé de condition (1795), le Désespoir de Jocrisse (1802), Jocrisse congédié (1803), Jocrisse jaloux (1804), Jocrisse au bal de l’Opéra (1808), Jocrisse seul, etc. — Le Désespoir de Jocrisse a seul survécu.

On se tromperait beaucoup si l’on était tenté de confondre les deux types de Jocrisse et de Janot ; sans doute ils sont parents à la façon de tous les imbéciles, mais ils ne sont pas frères. Jocrisse est en grand progrès sur Janot : c’est la bêtise convaincue et résolue, arrivée à son apogée d’aisance et de bien-vivre, la bêtise heureuse, grasse, bien logée, qui a un bon maître et une belle veste. Au contraire, Janot est un bouffon piteux, Janot est grelottant et mal habillé ; on le rosse et on ne le nourrit pas, il est maigre ; sa vie n’est qu’une lamentation perpétuelle au milieu du ruisseau. Janot me navre et je me surprends à lui souhaiter un sort meilleur, tandis que Jocrisse m’égaie sans arrière-pensée[1].

Alissan de Chazet et compagnie ayant composé pour Brunet un vaudeville intitulé Jocrisse autre part, Dorvigny se mit fort en colère, et écrivit, dans le Jour-

  1. « Depuis celui qui a dit : Tu seras Jocrisse ! personne dans les pelits théâtres n’a eu de génie viable. » Lettres aux écrivains français du dix-neuvième siècle, par M. de Balzac ; livraison de la Revue de Paris du 2 novembre 1834.