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Page:Monselet - Les Oubliés et les Dédaignés, 1876.djvu/387

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BACULARD D’ARNAUD.

Manon ne resta pas en si beau chemin : elle courut jusqu’à la cour de Prusse où elle fit rire le roi. On sait que Frédéric n’était pas difficile ; mais ce qu’il y a de mieux, c’est qu’il fit de Baculard son correspondant littéraire, position enviée et très-bien rétribuée. Tout arriva donc à la fois à l’étudiant du collège d’Harcourt ; il se trouva soudainement en évidence ; il fut félicité à son tour, et Voltaire lui-même ne se montra pas un des derniers : « Je vous fais mon compliment, mon cher ami, sur votre emploi et sur l’Épître à Manon ; je souhaite que l’un fasse votre fortune, comme je suis sûr que l’autre doit vous faire de la réputation. Les Manons sont bien heureuses d’avoir des amants et des poëtes comme vous. » Et en finissant : « Adieu, mon cher d’Arnaud ; entre les princes et Manon, n’oubliez pas Voltaire. »

D’Arnaud n’oublia pas Voltaire, ce fut Voltaire qui se souvint trop de d’Arnaud : on sait les tristes et honteux sentiments de jalousie qui le pénétrèrent en apprenant que le roi de Prusse avait fait venir Baculard à sa cour ; on sait les intrigues qu’il employa afin de mettre Frédéric en demeure de choisir entre l’auteur d’Œdipe et le chantre de Manon ; et comment ce dernier, dégoûté à jamais de la faveur des grands, dut retourner à Paris pour y vivre et y mourir.

J’ai dit en quelques lignes toute l’histoire de d’Arnaud.

Ses ouvrages, — ou du moins les titres de ses ouvrages, sont encore connus aujourd’hui. Les Délassements de l’homme sensible ont eu quinze cents souscripteurs. Tous ses drames se sont très-bien vendus,