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Page:Monselet - Les Oubliés et les Dédaignés, 1876.djvu/41

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LINGUET.

ne savent qu’obéir. Au nom du roi, Linguet se laissa conduire et enfermer, — et le dîner qu’il rêvait sous la tonnelle s’accomplit tristement à l’ombre des barreaux.

Il demeura prisonnier pendant près de deux ans. On connaît cette boutade dont tous les recueils de facéties se sont emparés : « Qui êtes-vous ? demanda-t-il un matin à une personne qui entrait dans sa chambre. — Monsieur, je suis le barbier de la Bastille. — Parbleu ! vous auriez bien dû la raser ! »

Quelques personnes influentes s’employèrent immédiatement pour lui ; mais il avait insulté de très-hauts personnages, il fallait une correction. Pendant ce temps, son journal était continué à l’étranger par des amis beaucoup trop dévoués. « Il y a toujours, dit une correspondance suisse, des gens habiles à succéder, non-seulement aux morts, mais même aux vivants, lorsqu’ils peuvent le faire avec impunité. C’est ainsi qu’on voit à Genève (à Genève maintenant) MM. Mallet du Pan et Durey de Morsan continuer les Annales de Me Linguet. Ils se sont flattés sans doute que ce prisonnier ne reparaîtrait pas de sitôt, car, malgré les éloges qu’ils lui prodiguent, on ne croit pas qu’il se vît de bon œil remplacé par ces messieurs. Malheureusement, les efforts inutiles qu’a dernièrement faits le sieur Le Quesne en sa faveur, en se jetant aux pieds de l’empereur Joseph II, alors à Versailles, donnent lieu de craindre qu’ils ne jouissent longtemps de leur usurpation. Le nouveau journal n’entre que furtivement en France. »

Le jour que Linguet fut mis en liberté, la vieille forteresse dut pousser un gémissement, car, ce jour-là, le furieux publiciste jura qu’il ferait tomber