Aller au contenu

Page:Monselet - Les Ressuscités, 1876.djvu/242

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
234
LES RESSUSCITÉS

tout dans les recueils les plus inconnus. Il avait un talent réel pour les vers, une facture gênée, mais un ton âpre ; — j’ai lu dans un magazine oublié, intitulé : les Étoiles, un de ses plus longs morceaux, le Prolétaire, qui est écrit avec du feu sombre. Comme tous les poètes amers, il évoque beaucoup Gilbert, et c’est avec de funèbres pressentiments qu’il rappelle sa mort déplorable[1].

Moi cependant je m’étonne de trouver dans l’âme des démocrates (Lassailly était républi-

  1. Qu’il me soit permis de revenir sur un fait, que j’ai déjà eu l’occasion de constater. Notre xixe siècle veut absolument que Gilbert soit mort de misère, parce que Gilbert est mort à l’Hôtel-Dieu. J’en suis fâché pour le xixe siècle, mais il doit chercher ailleurs ses sujets d’apitoiement, qui du reste ne lui manqueront pas. Gilbert, lorsqu’il mourut, était tout à fait dans l’aisance ; il avait surmonté les obstacles du début ; il avait percé la foule ; souvent on le rencontrait vêtu d’un magnifique habit brodé d’or. Sa folie est due, non pas à une accumulation de déceptions littéraires, comme on l’a prétendu, mais à une cause purement accidentelle, à une chute de cheval qui occasionna une fièvre chaude, pendant laquelle, — tout le monde sait cela, — Gilbert avala une clef. Dans ces circonstances, on le transporta à l’Hôtel-Dieu, c’est ce qu’on avait de mieux à faire.
    Sans doute, la pauvreté fait très-bien au bout d’un vers mais la vérité fait encore mieux. Plaignons Gilbert de sa mort prématurée, mais n’en tirons pas de conséquence. Mercier, qui était un de ses amis et qui a recueilli son dernier soupir, a donné sur l’état de sa fortune les renseignements les plus rassurants.