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Page:Monselet - Les Ressuscités, 1876.djvu/47

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CHATEAUBRIAND

se glace, — Chateaubriand, lui, s’en va tranquillement trouver une jeune fille qu’il a deux ou trois fois entrevue ; il lui parle, elle lui sourit ; il lui offre de l’épouser et il l’épouse. René se marie.

Une fois marié, — alors il émigra.

C’est de ce moment que date sa véritable misère et son noviciat d’homme. Jusqu’à présent, ce n’a guère été qu’un poétique, élégant et douloureux rêveur ; aujourd’hui le voilà qui saute à pieds joints dans la vie prosaïque et affamée, qui souffre du corps, qui est jeté dans un fossé comme un chien, qui n’a pas le sou, qui est mis à la porte par les filles d’auberge, couvert de plaies, souillé de fange, contagié et la cuisse entortillée de paille, ainsi que les gueux des plus implacables eaux-fortes. — Mourant, il se traîne sur les mains ; on le pose dans un fourgon, la moitié du corps pendant en dehors ; on l’embarque à fond de cale et on le rejette de nouveau à terre. Quelqu’un passant par hasard, — un bon Samaritain de Guernesey, — lui tourne le visage vers le soleil et l’adosse contre un mur. Puis il s’éloigne.

Mais le génie a la vie dure. Quelques mois