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Page:Montaigne - Essais, Éd de Bordeaux, 1.djvu/201

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faut sequestrer et r’avoir de soy.

Rupi jam vincula dicas :
Nam luctata canis nodum arripit ; attamen illi,
Cum fugit, à collo trahitur pars longa catenae.

Nous emportons nos fers quand et nous : ce n’est pas une entiere liberté, nous tournons encore la veue vers ce que nous avons laissé, nous en avons la fantasie plaine.

Nisi purgatum est pectus, quae praelia nobis
Atque pericula tunc ingratis insinuandum ?
Quantae conscindunt hominem cuppedinis acres
Sollicitum curae, quantique perinde timores ?
Quidve superbia, spurcitia, ac petulantia, quantas
Efficiunt clades ? quid luxus desidiésque ?

Nostre mal nous tient en l’ame : or elle ne se peut échaper à elle mesme,

In culpa est animus qui se non effugit unquam.

Ainsin il la faut ramener et retirer en soy : c’est la vraie solitude, et qui se peut jouïr au milieu des villes et des cours des Roys ; mais elle se jouyt plus commodément à part. Or, puis que nous entreprenons de vivre seuls et de nous passer de compagnie, faisons que nostre contentement despende de nous ; desprenons nous de toutes les liaisons qui nous attachent à autruy, gaignons sur nous de pouvoir à bon escient vivre seuls et y vivre à nostr’ aise. Stilpon, estant eschappé de l’embrasement de sa ville, où il avoit perdu femme, enfans et chevance, Démetrius Poliorcetes, le voyant en une si grande ruine de sa patrie le visage non effrayé, luy demanda s’il n’avoit pas eu du dommage. Il respondit que non, et qu’il n’y avoit, Dieu mercy, rien perdu de sien. C’est ce que le philosophe Antisthenes disoit plaisamment : que l’homme se devoit pourveoir de munitions qui flottassent sur l’eau et peussent à nage eschapper avec luy du naufrage. Certes l’homme d’entendement n’a rien perdu, s’il a soy mesme. Quand la ville de Nole fut ruinée par les Barbares, Paulinus, qui en estoit Evésque, y ayant tout perdu, et leur prisonnier, prioit ainsi Dieu : Seigneur, garde moy de