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Page:Montaigne - Essais, Éd de Bordeaux, 1.djvu/26

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et dressé à cette fin, plusieurs belles apparences du faict : que son maistre n’avoit jamais pris nostre homme, que pour gentil-homme privé, et sien suject, qui estoit venu faire ses affaires à Milan, et qui n’avoit jamais vescu là soubs autre visage, desadvouant mesme avoir sceu qu’il fut en estat de la maison du Roy, ny connu de luy, tant s’en faut qu’il le prit pour ambassadeur ; le Roy à son tour, le pressant de diverses objections et demandes, et le chargeant de toutes pars, l’accula en fin sur le point de l’exécution faite de nuict, et comme à la desrobée. A quoy le pauvre homme embarrassé respondit, pour faire l’honneste, que pour le respect de sa Majesté le Duc eust esté bien marry, que telle execution se fut faicte de jour. Chacun peut penser, comme il fut relevé, s’estant si lourdement couppé, et à l’endroit d’un tel nez que celuy du Roy François. Le pape Jule second ayant envoyé un ambassadeur vers le Roy d’Angleterre, pour l’animer contre le Roy François, l’ambassadeur ayant esté ouy sur sa charge, et le Roy d’Angleterre s’estant arresté en sa responce aux difficultez qu’il trouvoit à dresser les preparatifs, qu’il faudroit pour combattre un Roy si puissant, et en alleguant quelques raisons, l’ambassadeur repliqua mal à propos, qu’il les avoit aussi considérées de sa part, et les avoit bien dictes au Pape. De cette parole si esloingnée de sa proposition, qui estoit de le pousser incontinent à la guerre, le Roy d’Angleterre print le premier argument de ce qu’il trouva depuis par effect que cet ambassadeur, de son intention particuliere, pendoit du costé de France. Et en ayant adverty son maistre, ses biens furent confisquez, et ne tint à guere qu’il n’en perdit la vie.