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Page:Montaigne - Essais, Éd de Bordeaux, 2.djvu/102

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et humaines, d’estre receuës par une humaine conduite. Quelle foy doit ce estre, que la lascheté et la foiblesse de cœur plantent en nous et establissent ? Plaisante foy, qui ne croid ce qu’elle croid, que pour n’avoir le courage de le descroire. Une vitieuse passion, comme celle de l’inconstance et de l’estonnement, peut elle faire en nostre ame aucune production reglée ?

Ils establissent, dit-il, par la raison de leur jugement, que ce qui se recite des enfers, et des peines futures est feint, mais l’occasion de l’experimenter s’offrant lors que la vieillesse ou les maladies les approchent de leur mort : la terreur d’icelle les remplit d’une nouvelle creance, par l’horreur de leur condition à venir. Et par ce que telles impressions rendent les courages craintifs, il defend en ses loix toute instruction de telles menaces, et la persuasion que des Dieux il puisse venir à l’homme aucun mal, sinon pour son plus grand bien quand il y eschoit, et pour un medecinal effect. Ils recitent de Bion, qu’infect des atheïsmes de Theodorus, il avoit esté long temps se moquant des hommes religieux : mais la mort le surprenant, qu’il se rendit aux plus extremes superstitions : comme si les Dieux s’ostoyent et se remettoyent selon l’affaire de Bion.

Platon, et ces exemples, veulent conclurre, que nous sommes ramenez à la creance de Dieu, ou par raison, ou par force. L’Atheïsme estant une proposition, comme desnaturée et monstrueuse, difficile aussi, et malaisée d’establir en l’esprit humain, pour insolent et desreglé qu’il puisse estre : il s’en est veu assez, par vanité et par fierté de concevoir des opinions non vulgaires, et reformatrices du monde, en affecter la profession par contenance : qui, s’ils sont assez fols, ne sont pas assez forts, pour l’avoir plantée en leur conscience. Pourtant ils ne lairront de joindre leurs mains vers le ciel, si vous leur attachez un bon coup d’espée en la poitrine : et quand la crainte ou la maladie aura abatu et appesanti ceste licentieuse ferveur d’humeur volage, ils ne lairront pas de se revenir, et se laisser tout discretement manier aux creances et exemples publiques. Autre chose est, un dogme serieusement digeré, autre chose ces impressions superficielles : lesquelles nées de la desbauche d’un esprit desmanché, vont nageant temerairement et incertainement en la fantasie. Hommes bien miserables et escervellez, qui taschent d’estre pires qu’ils ne peuvent !

L’erreur du paganisme, et l’ignorance de nostre saincte verité, laissa tomber ceste grande ame : mais grande d’humaine grandeur seulement, encores en cet autre voisin abus, que les enfans et les vieillars se trouvent plus susceptibles de religion, comme si elle naissoit et tiroit son credit de nostre imbecillité.

Le neud qui devroit attacher nostre jugement et nostre volonté, qui devroit estreindre nostre ame et joindre à nostre Createur, ce devroit estre un neud prenant ses repliz et ses forces, non pas de noz considerations, de noz raisons et passions, mais d’une estreinte divine et supernaturelle, n’ayant qu’une forme, un visage, et un lustre, qui est l’authorité de Dieu et sa grace. Or nostre cœur et nostre ame estant regie et commandée par la foy, c’est raison qu’elle tire au service de son dessein toutes nos autres pieces selon leur portée. Aussi n’est-il pas croyable, que toute ceste machine n’ait quelques merques empreintes de la main de ce grand architecte, et qu’il n’y ait quelque image és choses du monde raportant aucunement à l’ouvrier, qui les a basties et formées. Il a laissé en ces hauts ouvrages le charactere de sa divinité, et ne tient qu’à nostre imbecillité, que nous ne le puissions descouvrir. C’est ce qu’il nous dit luy-mesme, que ses operations invisibles, il nous les manifeste par les visibles. Sebonde s’est travaillé à ce digne estude, et nous montre comment il n’est piece du monde, qui desmente son facteur. Ce seroit faire tort à la bonté divine, si l’univers ne consentoit à nostre creance. Le ciel, la terre, les elemens, nostre corps et nostre ame, toutes choses y conspirent : il n’est que de trouver le moyen de s’en servir : elles nous instruisent, si nous sommes