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Page:Montaigne - Essais, Éd de Bordeaux, 2.djvu/115

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Raucisonos cantus.

Mais cela est à sçavoir, quel langage parleroit cet enfant : et ce qui s’en dit par divination, n’a pas beaucoup d’apparence. Si on m’allegue contre ceste opinion, que les sourds naturels ne parlent point : Je respons que ce n’est pas seulement pour n’avoir peu recevoir l’instruction de la parolle par les oreilles, mais plustost pource que le sens de l’ouye, duquel ils sont privez, se rapporte à celuy du parler, et se tiennent ensemble d’une cousture naturelle : En façon, que ce que nous parlons, il faut que nous le parlions premierement à nous, et que nous le facions sonner au dedans à nos oreilles, avant que de l’envoyer aux estrangeres. J’ay dict tout cecy, pour maintenir ceste ressemblance, qu’il y a aux choses humaines : et pour nous ramener et joindre à la presse. Nous ne sommes ny au dessus, ny au dessous du reste : tout ce qui est sous le Ciel, dit le sage, court une loy et fortune pareille.

Indupedita suis fatalibus omnia vinclis.

Il y a quelque difference, il y a des ordres et des degrez : mais c’est soubs le visage d’une mesme nature :

res quæque suo ritu procedit, et omnes
Foedere naturæ certo discrimina servant.

Il faut contraindre l’homme, et le renger dans les barrieres de ceste police. Le miserable n’a garde d’enjamber par effect au delà : il est entravé et engagé, il est assubjecty de pareille obligation que les autres creatures de son ordre, et d’une condition fort moyenne, sans aucune prerogative, præexcellence vraye et essentielle. Celle qu’il se donne par opinion, et par fantasie, n’a ny corps ny goust : Et s’il est ainsi, que luy seul de tous les animaux, ayt cette liberté de l’imagination, et ce desreglement de pensées, luy representant ce qui est, ce qui n’est pas ; et ce qu’il veut ; le faulx et le veritable ; c’est un advantage qui luy est bien cher vendu, et duquel il a bien peu à se glorifier : Car de là naist