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Page:Montaigne - Essais, Éd de Bordeaux, 2.djvu/128

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passion, mais au poulpe c’est changement d’action. Nous avons quelques mutations de couleur, à la frayeur, la cholere, la honte, et autres passions, qui alterent le teint de nostre visage : mais c’est par l’effect de la souffrance, comme au cameleon. Il est bien en la jaunisse de nous faire jaunir, mais il n’est pas en la disposition de nostre volonté. Or ces effects que nous reconnaîssons aux autres animaux, plus grands que les nostres, témoignent en eux quelque faculté plus excellente, qui nous est occulte ; comme il est vray-semblable que sont plusieurs autres de leurs conditions et puissances, desquelles nulles apparances ne viennent jusques à nous.

De toutes les predictions du temps passé, les plus anciennes et plus certaines estoyent celles qui se tiroient du vol des oyseaux. Nous n’avons rien de pareil ni de si admirable. Cette regle, cet ordre du bransler de leur aisle, par lequel on tire des consequences des choses à venir, il faut bien qu’il soit conduit par quelque excellent moyen à une si noble operation ; car c’est prester à la lettre, d’aller attribuant ce grand effect, à quelque ordonnance naturelle, sans l’intelligence, consentement, et discours, de qui le produit : et est une opinion evidemment faulse. Qu’il soit ainsi : La torpille a cette condition, non seulement d’endormir les membres qui la touchent, mais au travers des filets, et de la sceme, elle transmet une pesanteur endormie aux mains de ceux qui la remuent et manient : voire dit-on d’avantage, que si on verse de l’eau dessus, on sent cette passion qui gaigne contremont jusques à la main, et endort l’attouchement au travers de l’eau. Cette force est merveilleuse : mais elle n’est pas inutile à la torpille : elle la sent et s’en sert ; de maniere que pour attraper la proye qu’elle queste, on la void se tapir soubs le limon, afin que les autres poissons se coulans par dessus, frappez et endormis de cette sienne froideur, tombent en sa puissance. Les gruës, les arondeles, et autres oyseaux passagers, changeans de demeure selon les saisons de l’an, montrent assez la connaissance