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Page:Montaigne - Essais, Éd de Bordeaux, 2.djvu/162

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et celeste : apportons y seulement du nostre, l’obeissance et la subjection : car comme il est escrit ; Je destruiray la sapience des sages, et abbattray la prudence des prudens. Où est le sage ? où est l’escrivain ? où est le disputateur de ce siecle ? Dieu n’a-il pas abesty la sapience de ce monde ? Car puis que le monde n’a point cogneu Dieu par sapience, il luy a pleu par la vanité de la predication, sauver les croyans. Si me faut-il voir en fin, s’il est en la puissance de l’homme de trouver ce qu’il cherche : et si cette queste, qu’il y a employé depuis tant de siecles, l’a enrichy de quelque nouvelle force, et de quelque verité solide.

Je croy qu’il me confessera, s’il parle en conscience, que tout l’acquest qu’il a retiré d’une si longue poursuite, c’est d’avoir appris à recognoistre sa foiblesse. L’ignorance qui estoit naturellement en nous, nous l’avons par longue estude confirmée et averée. Il est advenu aux gens veritablement sçavans, ce qui advient aux espics de bled : ils vont s’eslevant et se haussant la teste droite et fiere, tant qu’ils sont vuides ; mais quand ils sont pleins et grossis de grain en leur maturité, ils commencent à s’humilier et baisser les cornes. Pareillement les hommes, ayans tout essayé, tout sondé, et n’ayans trouvé en cet amas de science et provision de tant de choses diverses, rien de massif et de ferme, et rien que vanité, ils ont renoncé à leur presumption, et recogneu leur condition naturelle.

C’est ce que Velleius reproche à Cotta, et à Cicero, qu’ils ont appris de Philo, n’avoir rien appris : Pherecydes, l’un des sept sages, escrivant à Thales, comme il expiroit, J’ay, dit-il, ordonné aux miens, apres qu’ils m’auront enterré, de te porter mes escrits. S’ils contentent et toy et les autres Sages, publie les : sinon, supprime les. Ils ne contiennent nulle certitude qui me satisface à moy-mesme. Aussi ne fay-je pas profession de sçavoir la verité, ny d’y atteindre. J’ouvre les choses plus que je ne les descouvre. Le plus sage homme qui fut onques, quand on luy demanda ce qu’il sçavoit, respondit, qu’il sçavoit cela, qu’il ne sçavoit rien. Il verifioit ce qu’on dit, que la plus grand part de ce que nous sçavons, est la moindre de celles que nous ignorons : c’est à dire, que ce mesme que nous pensons sçavoir, c’est une piece, et bien petite, de nostre ignorance.

Nous sçavons les choses en songe, dit Platon, et les ignorons en verité.

Omnes pene veteres nihil cognosci, nihil percipi, nihil sciri posse dixerunt : angustos sensus, imbecilles animos, brevia curricula vitæ.

Cicero mesme, qui devoit au sçavoir tout son vaillant, Valerius dit, que sur sa vieillesse il commença à desestimer