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Page:Montaigne - Essais, Éd de Bordeaux, 2.djvu/201

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si in corpus nascentibus insinuatur,
Cur superante actam ætatem meminisse nequimus,
Nec vestigia gestarum rerum ulla tenemus ?

Car pour faire valoir la condition de nos ames, comme nous voulons, il les faut presupposer toutes sçavantes, lors qu’elles sont en leur simplicité et pureté naturelle. Par ainsin elles eussent esté telles, estans exemptes de la prison corporelle, aussi bien avant que d’y entrer, comme nous esperons qu’elles seront apres qu’elles en seront sorties. Et de ce sçavoir, il faudroit qu’elles se ressouvinssent encore estans au corps, comme disoit Platon, que ce que nous apprenions, n’estoit qu’un ressouvenir de ce que nous avions sçeu : chose que chacun par experience peut maintenir estre fauce. En premier lieu d’autant qu’il ne nous ressouvient justement que de ce qu’on nous apprend : et que si la memoire faisoit purement son office, aumoins nous suggereroit elle quelque traict outre l’apprentissage. Secondement ce qu’elle sçavoit estant en sa pureté, c’estoit une vraye science, cognoissant les choses comme elles sont, par sa divine intelligence : là où icy on luy fait recevoir la mensonge et le vice, si on l’en instruit ; en quoy elle ne peut employer sa reminiscence, cette image et conception n’ayant jamais logé en elle. De dire que la prison corporelle estouffe de maniere ses facultez naifves, qu’elles y sont toutes esteintes : cela est premierement contraire à cette autre creance, de recognoistre ses forces si grandes, et les operations que les hommes en sentent en cette vie, si admirables, que d’en avoir conclu cette divinité et eternité passée, et l’immortalité à venir ;

Nam si tantopere est animi mutata potestas,
Omnis ut actarum exciderit retinentia rerum,
Non ut opinor ea ab letho jam longior errat.