Page:Montaigne - Essais, Éd de Bordeaux, 2.djvu/236

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

parfumée ; Platon la refusa, disant qu’estant nay homme, il ne se vestiroit pas volontiers de robe de femme ; mais Aristippus l’accepta, avec cette responce que nul accoutrement ne pouvoit corrompre un chaste courage. Ses amis tançoient sa lascheté de prendre si peu à cœur que Dionisius luy eust craché au visage : Les pescheurs, dict-il, souffrent bien d’estre baignés des ondes de la mer depuis la teste jusqu’aux pieds pour attraper un goujon. Diogenes lavoit ses choulx, et le voyant passer : Si tu sçavois vivre de choulx, tu ne ferois pas la cour à un tyran. A quoy Aristippus : Si tu sçavois vivre entre les hommes, tu ne laverois pas des choulx. Voylà comment la raison fournit d’apparence à divers effects. C’est un pot à deux anses, qu’on peut saisir à gauche et à dextre :

bellum, ô terra hospita, portas ;
Bello armantur equi, bellum haec armenta minantur.
Sed tamen iidem olim curru succedere sueti
Quadrupedes, et frena jugo concordia ferre ;
Spes est pacis.

On preschoit Solon de n’espandre pour la mort de son fils des larmes impuissantes et inutiles : Et c’est pour cela, dict-il, que plus justement je les espans, qu’elles sont inutiles et impuissantes. La femme de Socrates rengregeoit son deuil par telle circonstance : O qu’injustement le font mourir ces meschans juges ! --Aimerois tu donc mieux que ce fut justement, luy repliqua il. Nous portons les oreilles percées ; les Grecs tenoient cela pour une marque de servitude. Nous nous cachons pour jouir de nos femmes, les Indiens le font en public. Les Schythes immoloyent les estrangers en leurs temples, ailleurs les temples servent de franchise.

Inde furor vulgi, quod numina vicinorum
Odit quisque locus, cum solos credat habendos
Esse Deos quos ipse colit.

J’ay ouy parler d’un juge, lequel, où il rencontroit un aspre conflit entre Bartolus et Baldus, et quelque matiere agitée de plusieurs contrarietez, mettoit au marge de son livre : Question pour l’amy ; c’est à dire que la verité estoit si embrouillée et debatue qu’en pareille cause il pourroit favoriser celle des parties que bon luy sembleroit. Il ne tenoit qu’à faute d’esprit et de suffisance qu’il ne peut mettre par tout : Question pour l’amy. Les advocats et les juges de nostre temps trouvent à toutes causes assez de biais pour les accommoder où bon leur semble. A une science si infinie, dépandant de l’authorité de tant d’opinions et d’un subject si arbitraire, il ne peut estre qu’il n’en naisse une