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Page:Montaigne - Essais, Éd de Bordeaux, 2.djvu/252

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plus longs et estendus ; plusieurs bestes ont l’œil ainsi pressé : cette longueur est donc à l’avanture la veritable forme de ce corps, non pas celle que noz yeux lui donnent en leur assiete ordinaire. Si nous serrons l’œil par dessoubs, les choses nous semblent doubles,

Bina lucernarum florentia lumina flammis,
Et duplices hominum facies, et corpora bina.

Si nous avons les oreilles empeschées de quelque chose, ou le passage de l’ouye resserré, nous recevons le son autre que nous ne faisons ordinairement ; les animaux qui ont les oreilles velues, ou qui n’ont qu’un bien petit trou au lieu de l’oreille, ils n’oyent par consequent pas ce que nous oyons et reçoivent le son autre. Nous voyons aux festes et aux theatres que, opposant à la lumiere des flambeaux une vitre teinte de quelque couleur, tout ce qui est en ce lieu nous appert ou vert, ou jaune, ou violet,

Et vulgo faciunt id lutea russaque vela
Et ferrugina, cum magnis intenta theatris
Per malos volgata trabesque trementia pendent :
Namque ibi consessum caveai subter, et omnem
Scenai speciem, patrum, matrumque, deorumque
Inficiunt, coguntque suo volitare colore,

il est vray-semblable que les yeux des animaux, que nous voyons estre de diverse couleur, leur produisent les apparences des corps de mesmes leurs yeux. Pour le jugement de l’action des sens, il faudroit donc que nous en fussions premierement d’accord avec les bestes, secondement entre nous mesmes. Ce que nous ne sommes aucunement ; et entrons en debat tous les coups de ce que l’un oit, void ou goute quelque chose autrement qu’un autre ; et debatons, autant que d’autre chose, de la diversité des images que les sens nous raportent. Autrement oit et voit, par la regle