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Page:Montaigne - Essais, Éd de Bordeaux, 2.djvu/261

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De là viennent ces mots de Caesar à son pilote, plus enflez que la mer qui le menassoit,

Italiam si, coelo authore, recusas,
Me pete : sola tibi causa haec est justa timoris,
Vectorem non nosse tuum ; perrumpe procellas,
Tutela secure mei.

Et ceux cy :

credit jam digna pericula Caesar
Fatis esse suis : Tantusque evertere, dixit,
Me superis labor est, parva quem puppe sedentem
Tam magno petiere mari.

Et cette resverie publique, que le Soleil porta en son front, tout le long d’un an, le deuil de sa mort :

Ille etiam, extincto miseratus Caesare Romam,
Cum caput obscura nitidum ferrugine texit ;

et mille semblables, dequoy le monde se laisse si ayséement piper, estimant que nos interests alterent le Ciel, et que son infinité se formalise de noz menues distinctions : Non tanta coelo societas nobiscum est, ut nostro fato mortalis sit ille quoque siderum fulgor.

Or, de juger la resolution et la constance en celuy qui ne croit pas encore certainement estre au danger, quoy qu’il y soit, ce n’est pas raison ; et ne suffit pas qu’il soit mort en cette desmarche, s’il ne s’y estoit mis justement pour cet effect. Il advient à la pluspart de roidir leur contenance et leurs parolles pour en acquerir reputation, qu’ils esperent encore jouir vivans. D’autant que j’en ay veu mourir, la fortune a disposé les contenances, non leur dessein. Et de ceux mesmes qui se sont anciennement donnez la mort, il y a bien à choisir si c’est une mort soudaine, ou mort qui ait du temps. Ce cruel Empereur Romain disoit de ses prisonniers qu’il leur vouloit faire sentir la mort ; et, si quelcun se deffaisoit en prison : Celuy là m’est eschapé, disoit-il. Il vouloit estendre la mort et la faire sentir par les tourmens :

Vidimus et toto quamvis in corpore caeso
Nil animae letale datum, moremque nefandae