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Page:Montaigne - Essais, Éd de Bordeaux, 2.djvu/269

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reschauffent ; mais la satieté engendre le dégoust : c’est une passion mousse, hebetée, lasse et endormie.

Si qua volet regnare diu, contemnat amantem :
contemnite, amantes,
Sic hodie veniet si qua negavit heri.

Pourquoy inventa Poppaea de masquer les beautez de son visage, que pour les rencherir à ses amans ? Pourquoy a l’on voylé jusques au dessoubs des talons ces beautez que chacune desire montrer, que chacun desire voir ? Pourquoy couvrent elles de tant d’empeschemens les uns sur les autres les parties où loge principallement nostre desir et le leur ? Et à quoy servent ces gros bastions, dequoy les nostres viennent d’armer leurs flancs, qu’à lurrer nostre appetit et nous attirer à elles en nous esloignant ?

Et fugit ad salices, et se cupit ante videri.
Interdum tunica duxit operta moram.

A quoy sert l’art de cette honte virginalle ? cette froideur rassise, cette contenance severe, cette profession d’ignorance des choses qu’elles sçavent mieux que nous qui les en instruisons, qu’à nous accroistre ledesir de vaincre, gourmander et fouler à nostre appetit toute cette ceremonie et ces obstacles ? Car il y a non seulement du plaisir, mais de la gloire encore, d’affolir et desbaucher cette molle douceur et cette pudeur enfantine, et de ranger à la mercy de nostre ardeur une gravité fiere et magistrale : C’est gloire, disent-ils, de triompher de la rigueur, de la modestie, de la chasteté et de la temperance ; et qui desconseille aux Dames ces parties là, il les trahit et soy-mesmes. Il faut croire que le cœur leur fremit d’effroy, que le son de nos mots blesse la pureté de leurs oreilles, qu’elles nous en haissent et s’accordent à nostre importunité d’une force forcée. La beauté, toute puissante qu’elle est, n’a pas dequoy se faire savourer sans cette entremise. Voyez en Italie, où il y a plus de beauté à vendre, et de la plus fine,