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Page:Montaigne - Essais, Éd de Bordeaux, 2.djvu/292

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ny la frécheur du teint, ny l’air du visage agreable, ny un corps sans senteur, ny la proportion legitime des membres, peuvent faire un bel homme. J’ay au demeurant la taille forte et ramassée : le visage, non pas gras, mais plein ; la complexion, entre le jovial et le melancholique, moiennement sanguine et chaude,

Unde rigent setis mihi crura, et pectora villis ;

la santé forte et allegre, jusques bien avant en mon aage rarement troublée par les maladies. J’estois tel, car je ne me considere pas à cette heure que je suis engagé dans les avenues de la vieillesse, ayant pieça franchy les quarante ans :

minutatim vires et robur adultum
Frangit, et in partem pejorem liquitur aetas.

Ce que je seray doresenavant, ce ne sera plus qu’un demy estre, ce ne sera plus moy. Je m’eschape tous les jours et me desrobe à moy,

Singula de nobis anni praedantur euntes.

D’adresse et de disposition, je n’en ay point eu ; et si suis fils d’un pere tres dispost et d’une allegresse qui luy dura jusques à son extreme vieillesse. Il ne trouva guere homme de sa condition qui s’egalast à luy en tout exercice de corps : comme je n’en ay trouvé guiere aucun qui ne me surmontat, sauf au courir (en quoy j’estoy des mediocres). De la musique, ny pour la voix que j’y ay tres-inepte, ny pour les instrumens, on ne m’y a jamais sceu rien apprendre. A la danse, à la paume, à la luite, je n’y ay peu acquerir qu’une bien fort legere et vulgaire suffisance ; à nager, à escrimer, à voltiger et à sauter, nulle du tout. Les mains, je les ay si gourdes que je ne sçay pas escrire seulement pour moy : de façon que, ce que j’ay barbouillé, j’ayme mieux le refaire que de me donner la peine de le démesler ; et ne ly guere mieux. Je me sens poiser aux escoutans. Autrement, bon clerc. Je ne sçay pas clorre à