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Page:Montaigne - Essais, Éd de Bordeaux, 2.djvu/326

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cette superabondance de santé), soit repletion de mauvaises humeurs, qui est l’ordinaire cause des maladies. De semblable repletion se voyent les estats souvent malades, et a l’on accoustumé d’user de diverses sortes de purgation. Tantost on donne congé à une grande multitude de familles pour en décharger le païs, lesquelles vont cercher ailleurs où s’accommoder aux despens d’autruy. De cette façon, nos anciens Francons, partis du fons de l’Alemaigne, vindrent se saisir de la Gaule et en deschasser les premiers habitans ; ainsi se forgea cette infinie marée d’hommes qui s’écoula en Italie soubs Brennus et autres ; ainsi les Gots et Vuandales, comme aussi les peuples qui possedent à present la Grece, abandonnerent leur naturel païs pour s’aller loger ailleurs plus au large ; et à peine est il deux ou trois coins au monde qui n’ayent senty l’effect d’un tel remuement. Les Romains batissoient par ce moyen leurs colonies : car, sentans leur ville se grossir outre mesure, ils la deschargeoyent du peuple moins necessaire, et l’envoyoient habiter et cultiver les terres par eux conquises. Par fois aussi ils ont à escient nourry des guerres avec aucuns, leurs ennemis, non seulement pour tenir leurs hommes en haleine, de peur que l’oysiveté, mere de corruption, ne leur apportast quelque pire inconvenient,

Et patimur longae pacis mala ; saevior armis,
Luxuria incumbit ;

mais aussi pour servir de saignée à leur Republique et esvanter un peu la chaleur trop vehemente de leur jeunesse, escourter et esclaircir le branchage de ce tige foisonnant en trop de gaillardise : à cet effet se sont ils autrefois servis de la guerre contre les Cartaginois. Au traité de Bretigny, Edouard troisiesme, Roy d’Angleterre, ne voulut comprendre, en cette paix generalle qu’il fit avec nostre Roy, le different du Duché de Bretaigne, affin qu’il eust où se descharger de ses hommes de