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Page:Montaigne - Essais, Éd de Bordeaux, 2.djvu/328

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et au mespris des dangiers et de la mort par ces furieux spectacles de gladiateurs et escrimeurs à outrance qui se combatoient, détailloient et entretuoyent en leur presence,

Quid vesani aliud sibi vult ars impia ludi,
Quid mortes juvenum, quid sanguine pasta voluptas ?

Et dura cet usage jusque à Théodosius l’Empereur :

Arripe dilatam tua, dux, in tempora famam,
Quodque patris superest, successor laudis habeto.
Nullus in urbe cadat cujus sit paena voluptas.
Jam solis contenta feris, infamis arena
Nulla cruentatis homicidia ludat in armis.

C’estoit, à la verité, un merveilleux exemple, et de tres-grand fruict pour l’institution du peuple, de voir tous les jours en sa presence cent, deux cens, et mille couples d’hommes, armez les uns contre les autres, se hacher en pieces avecques une si extreme fermeté de courage qu’on ne leur vist lacher une parolle de foiblesse ou commiseration, jamais tourner le dos, ny faire seulement un mouvement lache pour gauchir au coup de leur adversaire, ains tendre le col à son espée et se presenter au coup. Il est advenu à plusieurs d’entre eux, estans blessez à mort de force playes, d’envoyer demander au peuple s’il estoit content de leur devoir, avant que se coucher pour rendre l’esprit sur la place.

Il ne falloit pas seulement qu’ils combattissent et mourussent constamment, mais encore allegrement : en maniere qu’on les hurloit et maudissoit, si on les voyoit estriver à recevoir la mort. Les filles mesmes les incitoient :

consurgit ad ictus ;
Et, quoties victor ferrum jugulo inserit, illa
Delitias ait esse suas, pectusque jacentis
Virgo modesta jubet converso pollice rumpi.

Les premiers Romains employoient à cet exemple les