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Page:Montaigne - Essais, Éd de Bordeaux, 2.djvu/351

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enfans et les chastier estans en colere ? ce n’est plus correction, c’est vengeance. Le chatiement tient lieu de medecine aux enfans : et souffririons nous un medecin qui fut animé et courroucé contre son patient ? Nous mesmes, pour bien faire, ne devrions jamais mettre la main sur nos serviteurs, tandis que la colere nous dure. Pendant que le pouls nous bat et que nous sentons de l’émotion, remettons la partie ; les choses nous sembleront à la verité autres, quand nous serons r’acoisez et refroidis : c’est la passion qui commande lors, c’est la passion qui parle, ce n’est pas nous. Au travers d’elle, les fautes nous apparoissent plus grandes, comme les corps au travers d’un brouillas. Celuy qui a faim, use de viande ; mais celuy qui veut user de chastiement, n’en doibt avoir faim ny soif. Et puis, les chastiemens qui se font avec poix et discretion, se reçoivent bien mieux et avec plus de fruit de celuy qui les souffre. Autrement, il ne pense pas avoir esté justement condamné par un homme agité d’ire et de furie ; et allegue pour sa justification les mouvements extraordinaires de son maistre, l’inflammation de son visage, les sermens inusitez, et cette sienne inquietude et precipitation temeraire :

Ora tument ira, nigrescunt sanguine venae,
Lumina Gorgoneo saevius igne micant.

Suetone recite que Lucius Saturninus ayant esté condamné par Caesar, ce qui luy servit le plus envers le peuple (auquel il appella) pour luy faire gaigner sa cause, ce fut l’animosité et l’aspreté que Caesar avoit apporté en ce jugement. Le dire est autre chose que le faire : il faut considerer le presche à part et le prescheur à part. Ceux-là se sont donnez beau jeu, en nostre temps, qui ont essayé de choquer la verité de nostre Église par les vices des ministres d’icelle ; elle tire ses tesmoignages d’ailleurs : c’est une sotte façon d’argumenter et qui rejetteroit toutes choses en confusion. Un homme de bonnes meurs