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Page:Montaigne - Essais, Éd de Bordeaux, 2.djvu/369

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conviennent volontiers, à ce que dict le proverbe. Mais, chez moy, Venus est bien plus allegre, accompaignée de la sobrieté. Les exemples de sa douceur et de sa clemence envers ceux qui l’avoient offencé, sont infinis ; je dis outre ceux qu’il donna pendant le temps que la guerre civile estoit encore en son progrés, desquels il fait luy-mesmes assez sentir par ses escris qu’il se servoit pour amadouer ses ennemis et leur faire moins craindre sa future domination et sa victoire. Mais si faut il dire que ces exemples là s’ils ne sont suffisans à nous tesmoigner sa naïve douceur, ils nous montrent au moins une merveilleuse confiance et grandeur de courage en ce personnage. Il luy est advenu souvent de renvoyer des armées toutes entieres à son ennemy apres les avoir vaincues, sans daigner seulement les obliger par serment, sinon de le favoriser, au-moins de se contenir sans luy faire guerre. Il a prins à trois et à quatre fois tels capitaines de Pompeius, et autant de fois remis en liberté. Pompeius declaroit ses ennemis tous ceux qui ne l’accompaignoient à la guerre ; et luy, fit proclamer qu’il tenoit pour amis tous ceux qui ne bougeoient et qui ne s’armoyent effectuellement contre luy. A ceux de ses capitaines qui se desroboient de luy pour aller prendre autre condition, il r’envoioit encore les armes, chevaux et equipage. Les villes qu’il avoit prinses par force, il les laissoit en liberté de suyvre tel party qu’il leur plairoit, ne leur donnant autre garnison que la memoire de sa douceur et clemence. Il deffendit, le jour de sa grande bataille de Pharsale, qu’on ne mit qu’à toute extremité la main sur les citoyens Romains. Voylà des traits bien hazardeux, selon mon jugement ; et n’est pas merveilles si, aux guerres civiles que nous sentons, ceux qui combattent comme luy l’estat ancien de leur pays, n’en imitent l’exemple : ce sont moyens extraordinaires, et qu’il n’appartient qu’à la fortune de Caesar et à son admirable pourvoyance de