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Page:Montaigne - Essais, Éd de Bordeaux, 2.djvu/373

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de ses guerres, qui me sont demeurez en memoire. Son armée estant en quelque effroy pour le bruit qui couroit des grandes forces que menoit contre lui le Roy Juba, au lieu de rabatre l’opinion que ses soldats en avoyent prise et appetisser les moyens de son ennemy, les ayant faict assembler pour les r’asseurer et leur donner courage, il print une voye toute contraire à celle que nous avons accoustumé : car il leur dit qu’ils ne se missent plus en peine de s’enquerir des forces que menoit l’ennemy, et qu’il en avoit eu bien certain advertissement ; et lors il leur en fit le nombre surpassant de beaucoup et la vérité et la renommée qui en couroit en son armée, suyvant ce que conseille Cyrus en Xenophon ; d’autant que la tromperie n’est pas si grande de trouver les ennemis par effet plus foybles qu’on n’avoit esperé, que, les ayant jugez foybles par reputation, les trouver apres à la verité bien forts. Il accoustumoit sur tout ses soldats à obeyr simplement, sans se mesler de contreroller ou parler des desseins de leur capitaine, lesquels il ne leur communiquoit que sur le point de l’execution ; et prenoit plaisir, s’ils en avoyent descouvert quelque chose, de changer sur le champ d’advis pour les tromper ; et souvent, pour cet effect, ayant assigné un logis en quelque lieu, il passoit outre et alongeoit la journée, notamment s’il faisoit mauvais temps et pluvieux. Les Souisses, au commencement de ses guerres de Gaule, ayans envoyé vers luy pour leur donner passage au travers des terres des Romains, estant deliberé de les empescher par force, il leur contrefit toutes-fois un bon visage, et print quelques jours de delay à leur faire responce, pour se servir de ce loisir à assembler son armée. Ces pauvres gens ne sçavoyent pas combien il estoit excellent mesnager du temps : car il redit maintes-fois que c’est la plus souveraine partie d’un capitaine que la science de prendre au point les occasions, et la diligence, qui est en ses exploits