Aller au contenu

Page:Montaigne - Essais, Éd de Bordeaux, 2.djvu/377

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
Quod fugiens timuisset, iter ; mox uda receptis
Membra fovent armis, gelidosque a gurgite, cursu
Restituunt artus.

Je le trouve un peu plus retenu et consideré en ses entreprinses qu’Alexandre : car cettuy-cy semble rechercher et courir à force les dangiers, comme un impetueux torrent qui choque et attaque sans discretion et sans chois tout ce qu’il rencontre :

Sic tauri-formis volvitur Aufidus,
Qui Regna Dauni perfluit Appuli,
Dum saevit, horrendamque cultis
Diluviem meditatur agris.

Aussi estoit-il embesoigné en la fleur et premiere chaleur de son aage, là où Caesar s’y print estant des-jà meur et bien avancé. Outre ce qu’Alexandre estoit d’une temperature plus sanguine, colere et ardente, et si esmouvoit encore cette humeur par le vin, duquel Caesar estoit tres-abstinent : mais où les occasions de la necessité se presentoyent et où la chose le requeroit, il ne fut jamais homme faisant meilleur marché de sa personne. Quant à moy, il me semble lire en plusieurs de ses exploits une certaine resolution de se perdre, pour fuyr la honte d’estre vaincu. En cette grande bataille qu’il eut contre ceux de Tournay, il courut se presenter à la teste des ennemis sans bouclier, comme il se trouva, voyant la pointe de son armée s’esbranler : ce qui luy est advenu plusieurs autres-fois. Oyant dire que ses gens estoyent assiegez, il passa desguisé au travers l’armée ennemie pour les aller fortifier de sa presence. Ayant trajecté à Dirrachium avec bien petites forces, et voyant que le reste de son armée, qu’il avoit laissée à conduire à Antonius, tardoit à le suivre, il entreprit luy seul de repasser la mer par une tres-grande tormente, et se desroba pour aller reprendre luy mesme le reste de ses forces, les ports de delà et