Aller au contenu

Page:Montaigne - Essais, Éd de Bordeaux, 2.djvu/400

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

enteste. Mais l’effet mesme de la douleur n’a pas cette aigreur si aspre et si poignante qu’un homme rassis en doive entrer en rage et en desespoir. J’ay au-moins ce profit de la cholique, que ce que je n’avoy encore peu sur moy pour me concilier du tout et m’accointer à la mort, elle le parfera : car d’autant plus elle me pressera et importunera, d’autant moins me sera la mort à craindre. J’avoy desjà gaigné cela de ne tenir à la vie que par la vie seulement ; elle desnouera encore cette intelligence ; et Dieu veuille qu’en fin, si son aspreté vient à surmonter mes forces, elle ne me rejette à l’autre extremité, non moins vitieuse, d’aymer et desirer à mourir !

Summum nec metuas diem, nec optes.

Ce sont deux passions à craindre, mais l’une a son remede bien plus prest que l’autre. Au demourant, j’ay tousjours trouvé ce precepte ceremonieux, qui ordonne si rigoureusement et exactement de tenir bonne contenance et un maintien desdaigneux et posé à la tollerance des maux. Pourquoy la philosophie, qui ne regarde que le vif et les effects, se va elle amusant à ces apparences externes ? Qu’elle laisse ce soing aux farceurs et maistres de Rhetorique qui font tant d’estat de nos gestes. Qu’elle condonne hardiment au mal cette lacheté voyelle, si elle n’est ny cordiale, ny stomacale ; et preste ces plaintes volontaires au genre des soupirs, sanglots, palpitations, pallissements que Nature a mis hors de nostre puissance. Pourveu que le courage soit sans effroy, les parolles sans desespoir, qu’elle se contente ! Qu’importe que nous tordons nos bras pourveu que nous ne tordons nos pensées ! Elle nous dresse pour nous, non pour autruy ; pour estre, non pour sembler. Qu’elle s’arreste à