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Page:Montaigne - Essais, Éd de Bordeaux, 2.djvu/411

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dequoy Pline mesme se moque. Mais ils ont failly, veux je dire, de ce qu’à ce beau commancement ils n’ont adjousté cecy, de rendre leurs assemblées et consultations plus religieuses et secretes : aucun homme profane n’y devoit avoir accez, non plus qu’aux secretes ceremonies d’Aesculape. Car il advient de cette faute que leur irresolution, la foiblesse de leurs argumens, divinations et fondements, l’apreté de leurs contestations, pleines de haine, de jalousie et de consideration particuliere, venant à estre descouverts à un chacun, il faut estre merveilleusement aveugle, si on ne se sent bien hazardé entre leurs mains. Qui veid jamais medecin se servir de la recepte de son compaignon sans en retrancher ou y adjouster quelque chose. Ils trahissent assez par là leur art, et nous font voir qu’ils y considerent plus leur reputation, et par consequent leur profit, que l’interest de leurs patiens. Celuy là de leurs docteurs est plus sage, qui leur a anciennement prescript, qu’un seul se mesle de traiter un malade : car, s’il ne fait rien qui vaille, le reproche à l’art de la medecine n’en sera pas fort grand pour la faute d’un homme seul ; et, au rebours, la gloire en sera grande, s’il vient à bien rencontrer : là où, quand ils sont beaucoup, ils descrient tous les coups le mestier, d’autant qu’il leur advient de faire plus souvent mal que bien. Ils se devoyent contenter du perpetuel desaccord qui se trouve és opinions des principaux maistres et autheurs anciens de cette science, lequel n’est conneu que des hommes versez aux livres, sans faire voir encore au peuple les controverses et inconstances de jugement qu’ils nourrissent et continuent entre eux. Voulons nous un exemple de l’ancien debat de la medecine ? Hierophilus loge la cause originelle des maladies aux humeurs ; Erasistratus, au sang des arteres ; Asclepiades, aux atomes invisibles s’escoulants en nos pores ; Alcmaeon, en l’exuperance ou defaut des forces corporelles ; Diocles, en