Aller au contenu

Page:Montaigne - Essais, Éd de Bordeaux, 2.djvu/425

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

laquelle par nostre raison nous ne sçavons trouver la cause. En telles preuves, celles qu’ils disent avoir acquises par l’inspiration de quelque Daemon, je suis content de les recevoir (car, quant aux miracles, je n’y touche jamais) ; ou bien encore les preuves qui se tirent des choses qui, pour autre consideration, tombent souvent en nostre usage, comme si, en la laine, dequoy nous avons accoustumé de nous vestir, il s’est trouvé par accident quelque occulte proprieté desiccative qui guerisse les mules au talon, et si au reffort, que nous mangeons pour la nourriture, il s’est rencontré quelque operation apperitive. Galen recite qu’il advint à un ladre de recevoir guerison par le moyen du vin qu’il beut, d’autant que de fortune une vipere s’estoit coulée dans le vaisseau. Nous trouvons en cet exemple le moyen et une conduite vray-semblable à cette experience, comme aussi en celles ausquelles les medecins disent avoir esté acheminez par l’exemple d’aucunes bestes. Mais, en la plus part des autres experiences à quoy ils disent avoir esté conduis par la fortune et n’avoir eu autre guide que le hazard, je trouve le progrez de cette information incroyable. J’imagine l’homme regardant au tour de luy le nombre infiny des choses, plantes, animaux, metaux. Je ne sçay par où luy faire commencer son essay ; et quand sa premiere fantasie se jettera sur la corne d’un elan, à quoy il faut prester une creance bien molle et aisée, il se trouve encore autant empesché en sa seconde operation. Il luy est proposé tant de maladies et tant de circonstances, qu’avant qu’il soit venu à la certitude de ce point où doit joindre la perfection de son experience, le sens humain y perd son latin ; et avant qu’il ait trouvé parmy cette infinité de choses que c’est cette corne ; parmy cette infinité de maladies, l’epilepsie ; tant de complexions, au melancolique ; tant de saisons, en hyver ; tant de nations, au François ;