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DISCOURS

J’ai perdu celui qui me donnoit de l’émulation, que je voyois toujours devant moi dans le chemin des sciences, qui faisoit naître mes doutes, qui savoit les dissiper. Pardonnez, messieurs, si cet amour-propre qui accompagne toujours la douleur, ne m’a permis de parler que de moi. Il ne sera pas dit que mes regrets seront cachés ; et en attendant qu’une plume plus éloquente que la mienne ait pu faire son éloge, il faut que j’en jette ici quelques traits.

Purpureos spargam flores, animamque sepulti
His saltem accumulem donis[1].

Je ne parlerai pas de la naissance ni des dignités de M. le duc de la Force, je m’attacherai seulement à peindre son caractère. La mort enlève les titres, les biens et les dignités, et il ne reste guère d’un illustre mort que cette image fidèle qui est gravée dans le cœur de ceux qui l’ont aimé.

Une des grandes qualités de M. le duc de la Force étoit une certaine bonté naturelle : cette vertu de l’humanité qui fait tant d’honneur à l’homme, il l’avoit par excellence. Il s’attachoit volontiers, et il ne quittoit jamais.

Il avoit une grande politesse : ce n’étoit pas un oubli de sa dignité, mais l’art de faire souffrir aisément les avantages qu’elle lui donnoit.

Cependant il savoit souvent employer bien à propos cette représentation extérieure qui fait les grands, qu’ils peuvent bien négliger quelquefois, mais dont ils ne sauroient sans bassesse s’affranchir pour toujours.

  1. Æneid., lib. VI, v. 884.