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ÉLOGE DE BERWICK.

un examen rigoureux de leur conduite : chacun aime à les appeler devant son petit tribunal. Les soldats romains ne faisoient-ils pas de sanglantes railleries autour du char de la victoire ? Ils croyoient triompher même des triomphateurs. Mais c’est une belle chose pour le maréchal de Berwick, que les deux objections qu’on lui a faites ne soient uniquement fondées que sur son amour pour ses devoirs.

L’objection qu’on lui a faite de ce qu’il n’avoit pas été de l’expédition d’Écosse en 1715, n’est fondée que sur ce qu’on veut toujours regarder le maréchal de Berwick comme un homme sans patrie, et qu’on ne veut pas se mettre dans l’esprit qu’il étoit François. Devenu François du consentement de ses premiers maîtres, il suivit les ordres de Louis XIV, et ensuite ceux du régent de France. Il fallut faire taire son cœur, et suivre les grands principes : il vit qu’il n’étoit plus à lui ; il vit qu’il n’était plus question de se déterminer sur ce qui étoit le bien convenable, mais sur ce qui étoit le bien nécessaire : il sut qu’il seroit jugé, il méprisa les jugements injustes ; ni la faveur populaire, ni la manière de penser de ceux qui pensent peu, ne le déterminèrent.

Les anciens qui ont traité des devoirs ne trouvent pas que la grande difficulté soit de les connoître, mais de choisir entre deux devoirs. Il suivit le devoir le plus fort, comme le destin. Ce sont des matières qu’on ne traite jamais que lorsqu’on est obligé de les traiter, parce qu’il n’y a rien dans le monde de plus respectable qu’un prince malheureux. Dépouillons la question : elle consiste à savoir si le prince, même rétabli, auroit été en droit de le rappeler. Tout ce que l’on peut dire de plus fort, c’est que la patrie n’abandonne jamais ; mais cela même n’étoit pas le cas : il étoit proscrit par sa patrie lorsqu’il se fit naturaliser. Grotius, Puffendorf,